Guillaume Apollinaire

 

Les Onze Mille Verges ou les Amours d'un Hospodar
Roman (1907)

 

Chapitre premier

Chapitre second

Chapitre troisième

Chapitre quatrième

Chapitre cinquième

Chapitre sixième

Chapitre septième

Chapitre huitième

Chapitre neuvième

 

1

 Bucarest est une belle ville où il semble que viennent se mêler l'Orient et l'Occident. On est encore en Europe si l'on prend garde seulement à la situation géographique ; mais on est déjà en Asie si l'on s'en rapporte à certaines mœurs du pays, aux Turcs, aux Serbes et autres races macédoniennes dont on aperçoit dans les rues de pittoresques spécimens. Pourtant c'est un pays latin, les soldats romains qui colonisèrent le pays avaient sans doute la pensée constamment tournée vers Rome, alors capitale du monde et chef lieu de toutes les élégances. Cette nostalgie occidentale s'est transmise à leurs descendants : les Roumains pensent sans cesse à une ville où le luxe est naturel, où la vie est joyeuse. Mais Rome est déchue de sa splendeur, la reine des cités a cédé sa couronne à Paris et quoi d'étonnant que, par un phénomène atavique, la pensée des Roumains soit toujours tournée vers Paris, qui a si bien remplacé Rome à la tête de l'univers !

De même que les autres Roumains, le beau prince Vibescu songeait à Paris, la Ville-lumière, où les femmes, toutes belles, ont toutes aussi la cuisse légère. Lorsqu'il était encore au collège de Bucarest, il lui suffisait de penser à une Parisienne, à la Parisienne, pour bander et être obligé de se branler lentement, avec béatitude. Plus tard, il avait déchargé dans maints cons et culs de délicieuses Roumaines. Mais il le sentait bien, il lui fallait une Parisienne.

Mony Vibescu était d'une famille très riche. Son arrière grand-père avait été hospodar, ce qui équivaut au titre de sous préfet en France. Mais cette dignité était transmise de nom à la famille, et le grand-père et le père de Mony avaient chacun porté le titre de hospodar. Mony Vibescu avait dû également porter ce titre en l'honneur de son aïeul.

Mais il avait lu assez de Romans français pour savoir se moquer des sous préfets : "Voyons, disait-il, n'est-ce pas ridicule de se faire dire sous préfet parce que votre aïeul l'a été ? C'est grotesque, tout simplement !" Et pour être moins grotesque, il avait remplacé le titre d'hospodar sous-préfet par celui de prince. "Voilà, s'écriait-il, un titre qui peut se transmettre par voie d'hérédité. Hospodar, c'est une fonction administrative, mais il est juste que ceux qui se sont distingués dans l'administration aient le droit de porter un titre. Je m'anoblis. Au fond, je suis un ancêtre. Mes enfants et mes petits enfants m'en sauront gré."

Le prince Vibescu était fort lié avec le vice-consul de Serbie : Brandi Fornoski qui, disait-on par la ville, enculait volontiers le charmant Mony. Un jour, le prince s'habilla correctement et se dirigea vers le vice-consulat de Serbie. Dans la rue, tous le regardaient et les femmes le dévisageaient en se disant : "comme il a l'air parisien !"

En effet, le prince Vibescu marchait comme on croit à Bucarest que marchent les Parisiens, c'est à dire à tout petits pas pressés et en tortillant le cul. C'est charmant ! et lorsqu'un homme marche ainsi à Bucarest, pas une femme ne lui résiste, fût-elle l'épouse du Premier ministre.

Arrivé devant la porte du vice consulat de Serbie, Mony pissa longuement contre la façade, puis il sonna. Un Albanais vêtu d'une fustanelle blanche vint lui ouvrir. Rapidement, le prince Vibescu monta au premier étage. Le vice-consul Brandi Fornoski était tout nu dans son salon. Couché sur un sofa moelleux, il bandait ferme ; près de lui se tenait Mira, une brune monténégrine qui lui chatouillait les couilles. Elle était nue également et, comme elle était penchée, sa position faisait ressortir un beau cul bien rebondi, brun et duveté, dont la fine peau était tendue à craquer. Entre les deux fesses s'allongeait la raie bien fendue et poilue de brun, on apercevait le trou prohibé rond comme une pastille. Au-dessous, les deux cuisses, nerveuses et longues, s'allongeaient, et comme sa position forçait Mira à les écarter, on pouvait voir le con, gras, épais, bien fendu et ombragé d'une épaisse crinière toute noire. Elle ne se dérangea pas lorsque entra Mony. Dans un autre coin, sur une chaise longue, deux jolies filles au gros cul se gougnottaient en poussant des petits "Ah" de volupté. Mony se débarrassa rapidement de ses vêtements, puis le vit en l'air, bien bandant, il se précipita sur les deux gougnottes en essayant de les séparer. Mais ses mains glissaient sur leurs corps moites et polis qui se lovaient comme des serpents. Alors voyant qu'elles écumaient de volupté, et furieux de ne pouvoir la partager, il se mit à claquer de sa main ouverte le gros cul blanc qui se tenait à sa portée. Comme cela semblait exciter considérablement la porteuse de ce gros cul, il se mit à taper de toutes ses forces, si bien que la douleur l'emportant sur la volupté, la jolie fille dont il avait rendu rose le joli cul blanc, se releva en colère en disant :

- Salop, prince des enculés, ne nous dérange pas, nous ne voulons pas de ton gros vit. Va donner ce sucre d'orge à Mira. Laisse nous nous aimer, N'est ce pas Zulmé ?

- Oui ! Toné! répondit l'autre jeune fille.

Le prince brandit son énorme vit en criant:

- Comment, jeunes salaudes, encore et toujours à vous passer la main dans le derrière ! Puis saisissant l'une d'entre elles, il voulut l'embrasser sur la bouche. C'était Toné, une jolie brune dont le corps tout blanc avait aux bons endroits, de jolis grains de beauté qui en rehaussaient la blancheur ; son visage était blanc également, et un grain de beauté sur la joue gauche rendait très piquante la mine de cette gracieuse fille. Sa poitrine était ornée de deux superbes tétons durs comme du marbre, cernés de bleu, surmontés de fraises rose tendre et dont celui de droite était joliment taché d'un grain de beauté placé là comme une mouche, une mouche assassine.

Mony Vibescu en la saisissant avait passé les mains sous son gros cul qui semblait un beau melon qui aurait poussé au soleil de minuit tant il était blanc et plein. Chacune de ses fesses semblait avoir été taillée dans un bloc de carrare sans défaut et les cuisses qui descendaient en dessous étaient rondes comme les colonnes d'un temple grec. Mais quelle différence! Les cuisses étaient tièdes et les fesses étaient froides, ce qui est un signe de bonne santé. La fessée les avait rendues un peu roses, si bien qu'on eût dit de ces fesses qu'elles étaient faites de crème mêlée de framboises. Cette vue excitait à la limite de l'excitation le pauvre Vibescu. Sa bouche suçait tour à tour les tétons fermes de Toné ou bien se posant sur la gorge ou sur l'épaule y laissait des suçons. Ses mains tenaient fermement ce gros cul ferme comme une pastèque dure et pulpeuse. Il palpait ces fesses royales et avait insinué l'index dans un trou du cul d'une étroitesse à ravir. Sa grosse pine qui bandait de plus en plus venait battre en brèche un charmant con de corail surmonté d'une toison d'un noir luisant. Elle lui criait en roumain : "Non, tu ne me le mettras pas !" et en même temps elle gigotait de ses jolies cuisses rondes et potelées. Le gros vit de Mony avait déjà de sa tête rouge et enflammée touché le réduit humide de Toné. Celle-ci se dégagea encore, mais en faisant ce mouvement elle lâcha un pet, non pas un pet vulgaire mais un pet au son cristallin qui provoqua chez elle un rire violent et nerveux. Sa résistance se relâcha, ses cuisses s'ouvrirent et le gros engin de Mony avait déjà caché sa tête dans le réduit lorsque Zulmé, l'amie de Toné et sa partenaire de gougnottage, se saisit brusquement des couilles de Mony et, les pressant dans sa petite main, lui causa une telle douleur que le vit fumant ressortit de son domicile au grand désappointement de Toné qui commençait déjà à remuer son gros cul sous sa fine taille.

Zulmé était une blonde dont l'épaisse chevelure lui tombait jusqu'aux talons. Elle était plus petite que Toné, mais sa sveltesse et sa grâce ne lui cédaient en rien. Ses yeux étaient noirs et cernés. Dès qu'elle eût lâché les couilles du prince, celui-ci se jeta sur elle en disant : "Eh bien ! tu vas payer pour Toné." Puis, happant un joli téton, il commença à en sucer la pointe. Zulmé se tordait. Pour se moquer de Mony elle faisait remuer et onduler son ventre au bas duquel dansait une délicieuse barbe blonde bien frisée. En même temps elle ramenait en haut un joli con qui fendait une belle motte rebondie. Entre les lèvres de ce con rose frétillait un clitoris assez long qui prouvait ses habitudes de tribadisme. Le vit du prince essayait en vain de pénétrer dans ce réduit. Enfin, il empoigna les fesses et allait pénétrer lorsque Toné, fâchée d'avoir été frustrée de la décharge du superbe vit, se mit à chatouiller avec une plume de paon les talons du jeune homme. Il se mit à rire, à se tordre. La plume de paon le chatouillait toujours ; des talons elle était remontée aux cuisses, à l'aine, au vit qui débanda rapidement.

Les deux coquines, Toné et Zulmé, enchantées de leur farce, rirent un bon moment, puis, rouges et essoufflées, elles reprirent leur gougnottage en s'embrassant et se léchant devant le prince penaud et stupéfié. Leurs culs se haussaient en cadence, leurs poils se mêlaient, leurs dents claquaient l'une contre l'autre, les satins de leurs seins fermes et palpitants se froissaient mutuellement. Enfin, tordues et gémissant de volupté, elles se mouillèrent réciproquement, tandis que le prince recommençait à bander. Mais les voyant l'une et l'autre si lasses de leur gougnottage, il se tourna vers Mira qui tripotait toujours le vit du vice-consul. Vibescu s'approcha doucement et faisant passer son beau vit dans les grosses fesses de Mira, il l'insinua dans le con entrouvert et humide de la jeune fille qui, dès qu'elle eût senti la tête du nœud qui la pénétrait, donna un coup de cul qui fit pénétrer complètement l'engin. Puis elle continua ses mouvements désordonnés, tandis que d'une main le prince lui branlait le clitoris et que de l'autre il lui chatouillait les nichons.

Son mouvement de va-et-vient dans le con bien serré semblait causer un vif plaisir à Mira qui le prouvait par des cris de volupté. Le ventre de Vibescu venait frapper contre le cul de Mira et la fraîcheur du cul de Mira causait au prince une aussi agréable sensation que celle causée à la jeune fille par la chaleur de son ventre. Bientôt, les mouvements devinrent plus vifs, plus saccadés, le prince se pressait contre Mira qui haletait en serrant les fesses. Le prince la mordit à l'épaule et la tint comme ça. Elle criait :

- Ah ! c'est bon... reste... plus fort... plus fort... tiens, tiens, prends tout. Donne le moi, ton foutre... Donne-moi tout... Tiens... Tiens!... Tiens !

Et dans une décharge commune ils s'affalèrent et restèrent un moment anéantis. Toné et Zulmé enlacées sur la chaise longue les regardaient en riant. Le vice consul de Serbie avait allumé une mince cigarette de tabac d'Orient. Lorsque Mony se fut relevé, il lui dit :

- Maintenant, cher prince, à mon tour ; j'attendais ton arrivée et c'est tout juste si je me suis fait tripoter le vit par Mira, mais je t'ai réservé la jouissance. Viens, mon joli cœur, mon enculé chéri, viens ! que je te le mette.

Vibescu le regarda un moment puis, crachant sur le vit que lui présentait le vice-consul, il proféra ces paroles :

-J'en ai assez à la fin d'être enculé par toi, toute la ville en parle.

Mais le vice-consul s'était dressé, bandant, et avait saisi un revolver. Il en braqua le canon sur Mony qui, tremblant, lui tendit le derrière en balbutiant :

-Brandi, mon cher Brandi, tu sais que je t'aime, encule moi, encule moi.

Brandi en souriant fit pénétrer sa pine dans le trou élastique qui se trouvait entre les deux fesses du prince. Entré là, et tandis que les trois femmes le regardaient, il se démena comme un possédé en jurant :

-Nom de Dieu ! Je jouis, serre le cul, mon joli giton, serre, je jouis. Serre tes jolies fesses. Et les yeux hagards, les mains crispées sur les épaules délicates, il déchargea. Ensuite Mony se lava, se rhabilla et parti en disant qu'il reviendrait après dîner. Mais arrivé chez lui, il écrivit cette lettre :

"Mon cher Brandi,

"J'en ai assez d'être enculé par toi, j'en ai assez des femmes de Bucarest, j'en ai assez de dépenser ici ma fortune avec laquelle je serais si heureux à Paris. Avant deux heures je serais parti. J'espère m'y amuser énormément et je te dis adieu."

"Mony, prince Vibescu, Hospodar héréditaire."

Le prince cacheta la lettre, en écrivit une autre à son notaire où il le priait de liquider ses biens et de lui envoyer le tout à Paris dès qu'il saurait son adresse. Mony prit tout l'argent liquide qu'il possédait, soit 50 000 francs, et se dirigea vers la gare. Il mit ses deux lettres à la poste et prit l'Express-Orient pour Paris.

  

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Le libertin moderne

Les écrits politiques et érotiques d'Apollinaire en Pléiade

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11 Juin 1993

Les Onze Mille Verges sont l'un des grands romans politiques du vingtième siècle. Dans ce Gil Blas moderne, pérégrinations du prince Vibescu et de son valet Cornaboeux de Paris à Port-Arthur, sont exposés fort en détail quelques questions essentielles, la faiblesse de l'empire russe, la supériorité du Japon, le désordre français, la duplicité de l'âme allemande et le fanatisme meurtrier des Serbes. A Bucarest, le prince assiste à une messe noire. Les conjurés du " comité antidynastique de Serbie ", " saisissant des tibias, jurèrent la mort d'Alexandre Obrenovitch et de sa femme Draga Machine ". Quelque temps plus tard, " le roi de Serbie et sa femme furent assassinés à Belgrade. Leur meurtre appartient à l'histoire et il a été déjà diversement jugé. La guerre entre le Japon et la Russie éclata ensuite. " Il faudrait des pages pour analyser autant qu'elles le méritent les allusions militaires, diplomatiques et psychologiques du roman.

Absurdité, dites-vous ? Mystification ? Les Onze Mille Verges, objectez-vous, ne sont qu'affabulations grivoises, fatras d'obscénités et délires bouffons. Oui. Justement. C'est aussi un livre pornographique et la grandeur et la justesse du livre tiennent à ce mixte. Qu'est-ce qui s'accorderait mieux à l'obscénité des plaisirs, hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, aux exercices de bestialité, de nécrophilie, de sadisme, de masochisme et d'exhibitionnisme qui scandent l'ouvrage que l'obscénité de la politique et des affaires et la description des passions furieuses qui font l'histoire humaine ?

Apollinaire est sur le motif comme les peintres qu'il soutient. Il est même dans le motif. Il le pénètre, il veut à toute force savoir ce qu'il y a à l'intérieur, dans les têtes et les ventres. Il n'hésite devant aucune expérience. Il pousse au plus loin l'abnégation du savant, allant jusqu'à plonger dans les abîmes les plus ténébreux de la fureur et de la haine. Son héros, Vibescu, meurt châtié pour avoir poussé un peu trop loin ses essais d'analyste. Il est puni pour avoir poussé un peu trop loin une dissection in vivo. Allégorie du romancier, naturellement. Que ces aventures innommables aient pour théâtre l'Europe et l'Asie, la garçonnière d'un sénateur, des chancelleries, l'Orient-Express, des champs de bataille et le carnaval de Nice, rien de plus logique. Au délire de l'histoire, les personnages ajoutent le délire des sens, qui est la matrice de l'autre. Les Onze Mille Verges parurent à l'hiver de 1906, les Trois Essais sur la théorie de la sexualité de Freud en 1905. La primauté de l'écrivain sur le médecin est évidente. Il s'aventure plus avant.

Le roman libertin a, sur tout autre, une supériorité assurée, qui tient à sa profondeur : il ne lui suffit pas d'énumérer les symptômes, il lui faut creuser jusqu'à la racine noire. Les esprits rapides le tiennent pour un divertissement plaisant et une invitation à la licence contre le moralisme. Apollinaire en jugeait tout autrement, dans un vocabulaire précis. Dans les Diables amoureux, collection de notices consacrées aux écrivains dits jadis du " second rayon ", il célèbre Crébillon fils, " qui mérite d'être appelé le Pétrone français " et le déclare admirable pour " son esprit et cette connaissance véritable qu'il avait des âmes ". Le libertinage ? L'un des noms de la philosophie.

Apollinaire surnomme Sade le " marquis systématique ", note que " Nietzsche n'a pas dédaigné de [l']assimiler " et décrit les Cent Vingt Journées de Sodome comme la " classification rigoureusement scientifique de toutes les passions dans leurs rapports avec l'instinct sexuel ". Il rapporte encore que Restif de La Bretonne traita le marquis d'" infâme disséqueur à vif ". On ne saurait mieux définir l'objet véritable d'un livre, quand son auteur refuse de se compromettre dans le commerce, le boniment et la niaiserie, comme il est de règle d'ordinaire ; quand il veut savoir et comprendre plutôt que charmer et vendre.

Apollinaire ne cesse de vouloir savoir et comprendre. Quand il n'écrit ni poèmes ni romans, il fait oeuvre de chroniqueur dans les quotidiens et les mensuels. Les échos, critiques, anecdotes, portraits, observations variées et notes bibliographiques qu'il a rédigés de 1901 à sa mort constituent, avec les romans dits érotiques, le volume qui paraît. Dans une prodigieuse diversité, tout s'y croise et se télescope, la découverte des poèmes tongouses, les Futuristes, les récits du front, l'" historique des relations entre la Russie et le Japon ", l'apologie de Baudelaire, la grève des chemins de fer en Amérique et la question dynastique en Albanie. Il se risque dans le capharnaüm sidérant des connaissances et méconnaissances que les journaux diffusent. Il s'y égare quelquefois, prisonnier du chaos des nouvelles planétaires, drames lointains, histoire, géographie, folies de toutes parts.

Ce serait sottise de mépriser au nom d'on ne sait quel idéal de la " grande littérature " ces exercices de journalisme universel, indices d'une curiosité incessante, efforts d'une cervelle pour penser l'état du monde. Les éditeurs d'Apollinaire ont eu cent fois raison de ne pas négliger le recueil de ces articles et articulets, car on y reconnaît l'écrivain à la recherche de son temps, rassemblant les éléments qui l'aideront, peut-être, à y voir un peu plus clair. Regarder, mesurer, scruter, c'est l'obsession de l'écrivain, et c'est aussi celle de Picasso, son alter ego, son semblable.

Quand Mony Vibescu meurt flagellé, il ne reste de son cadavre qu'" une loque informe, sorte de chair à saucisse où l'on ne distinguait plus rien, sauf le visage qui avait été soigneusement respecté et où les yeux vitreux grands ouverts semblaient contempler la majesté divine dans l'au-delà ". Voir, voir encore, jusqu'au dernier instant...

DAGEN PHILIPPE